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Siduh, L’Oiseau (2017)
la rencontre avec “l’être rieur”

par Joshua de Paiva

         

              Les installations de Cecil Serres, composées de matériaux d’origine organique ou synthétique, sont des écosystèmes fragiles faits d’équilibres, où les œuvres s’activent, mutent et prennent possession de l’espace. Le raté et l’erreur sont omniprésents : les matières se contaminent, s’écoulent, prolifèrent. Mu·e par sa curiosité pour une espèce de devenir ou re-devenir animal, l’artiste délaisse toute aspiration à la pureté, à l’aseptisation, et cherche à faire émerger des espaces transitionnels, trans-espèces, pour «ouvrir les vannes et vivre en accord avec l’animal rieur ». L’animalité imprévisible, métamorphique, est présente en creux dans sa pratique. Quoique absent, l’animal est encore là, à l’abri des regards, “prêt à bondir”, comme le dirait Catherine Malabou.

La performance Siduh, L’Oiseau, fait partie d’une série de pièces et de situations dans lesquelles l’artiste met en présence des personnages qui évoluent sans script, des organismes mutants et mutagènes. Avec son acolyte, l’Oiseau, i·el « arrange des coups » et joue les entremetteur·ses. Les regards sont offerts, reçus, les surfaces mises en contact, et cel·leui qui orchestre et surveille la rencontre est ·el·lui-même affecté·e par l'autre, juge et partie de la transe. L’Oiseau demande l’attention, se pavane, et, joueur, s’amuse à nous tirer de notre indifférence habituelle. Il ne fait pas de spectacle, mais, à l’affût, guette et attise la rencontre, nous invite à habiter pour un temps un entre-deux, une zone d’incertitude où la rencontre avec l’Autre peut avoir lieu. On y glisse, on dérape, désorienté par une loi d’attraction-répulsion. Le moi est enjoint, appelé, dans une phénoménologie du témoignage, hors du modèle corrélationniste de la relation sujet-objet. Il est surpris par son propre surgissement comme auto-affection, et par l’animalité en lui. Le Siduh opère, l’être rieur exulte, OH YES ! ME VOILÀ !

Dans L’Oiseau, l’être rieur prends corps en activant la sculpture Boa (2017), se parant de ses plus beaux atours pour draguer les visiteurs. Il évolue tel un animal mi-farouche, mi-entreprenant ; notre regard est fuyant, avant de se faire plus soutenu, tour à tour amusé·es ou embarrassé·es, nous oscillons dans ce moment en suspens et ouvert, celui où une rencontre peut potentiellement avoir lieu, transformant les êtres en présence. Jamais prédéfinie, elle surgit dans ce type d’ouvertures ; parfois, elle rate. Pas toujours agréable ou recommandable, la rencontre peut être mauvaise. En nous sommant d’être présents non seulement à nous-mêmes, mais aussi à l’Autre, en somme, à une espèce d’animalité en nous et hors de nous, l’Oiseau dragueur de Cecil Serres brouille la limite entre attraction et répulsion, désir et dégoût. Une fois qu’elle a eu lieu, la rencontre nous a changé : d’accidentelle et contingente, elle est devenue comme nécessaire, meant to be. Il s’est passé quelque chose.

L’être rieur, en pleine parade nuptiale, interroge deux types de défaut de l’expérience sensible ou d’indifférence. D’abord, celle que l’on peut ressentir face à des oeuvres d’art contemporain “indisponibles à la rencontre” avec le public, qui bien souvent “nous laissent froid”, qu’elles soient trop conformes à nos attentes (trop proches) ou au contraire trop étrangères. Comme le suggère Pierre Montebello, « [l]es mondes créés par l’art, à partir d’immenses toiles sympathiques, sont toujours bordés par deux dangers, l’identification sèche, où tout est moi, et la distance froide, où rien n’est moi. ». L’Oiseau navigue entre ces deux dangers, cherchant à déclencher la véritable rencontre avec le public. Ensuite, ce type de rencontre met potentiellement en question la relative indifférence générale à la Sixième Extinction des espèces, et plus largement, ce que certains chercheurs diagnostiquent comme une crise de nos sensibilités au vivant. En faisant resurgir le non-humain, en nous bousculant au moins minimalement, l’expérience de la rencontre interspécifique, dans un contexte esthétique, pourrait, sinon y remédier, du moins nous sortir, pour un temps, de cette double indifférence (à l’art ; au vivant non humain). Siduh, L’Oiseau est une performance qui tente de ménager un espace pour que des rencontres sensibles avec des êtres hybrides, d’abord hors de nous, puis en nous, puissent advenir.

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